Paul Barnsley
APTN Investes
VANCOUVER — Un juge de la Cour fédérale a ordonné au Service correctionnel du Canada (SCC) de cesser d’utiliser son évaluation psychologique du risque standard pour les délinquants autochtones violents.
Selon la décision rendue le 18 septembre dernier par le Juge Michael L. Phelan, le Canada est en retard par rapport aux autres pays dans ses efforts pour faire disparaître les préjugés.
Le Juge Phelan a ordonné au SCC de ne plus se servir de ses tests standards d’évaluation psychologique sur Jeffrey G. Ewart et de revenir devant le tribunal dans 30 jours pour préciser comment le SCC prévoit effectuer des recherches visant à « évaluer la fiabilité de ces tests psychologiques en ce qui concerne les délinquants autochtones adultes. »
« Il ne s’agit pas d’un problème sur lequel le SCC a omis de se pencher par inadvertance. C’est un sujet brûlant depuis 2000 qui est sur « l’écran radar » du SCC et qui a fait l’objet de décisions de justice antérieures où le tribunal envisageait que soit mené un certain type de recherche de confirmation », a noté le juge. « Il est temps de régler la question. »
Ewart, 53 ans, s’identifie lui-même comme Métis et est reconnu par le SCC comme étant un délinquant autochtone. Il a été adopté à six mois par une famille non autochtone. Le juge a qualifié la vie dans sa famille adoptive de ʺtragiqueʺ avec un père alcoolique, une mère atteinte de maladie mentale et des frères et sœurs racistes et violents.
Ewart a passé 30 ans dans des établissements fédéraux, dont près de la moitié dans des prisons à sécurité maximale. Il purge actuellement deux peines d’emprisonnement à perpétuité, pour meurtre au deuxième degré et tentative de meurtre.
Au départ, Ewart a poursuivi le SCC en dommages-intérêts en 2006 et 2007, arguant que les tests utilisés par le SCC sur les prisonniers étaient empreints de parti pris contre les Autochtones, ce qui l’empêchait d’avancer dans sa réhabilitation.
Mais Ewart assurait sa propre défense et il n’a pas eu gain de cause à son procès.
Ewart est admissible à une libération conditionnelle complète depuis 1999. Mais il a refusé d’en faire la demande, sous prétexte que le parti pris des tests déterminerait qu’il est trop susceptible de récidiver et que sa demande serait rejetée.
Après l’échec de son premier recours en justice, Ewart a retenu les services de l’avocat vancouvérois, Jason Gratl, pour l’aider à porter de nouveau sa plainte devant un juge. Maître Gratl a précisé que, lors de la précédente poursuite intentée par Ewart, les avocats du SCC avaient dit à la cour que leur client allait s’attaquer au problème des préjugés culturels des tests.
Le Juge Phelan n’était clairement pas satisfait des progrès réalisés par le SCC depuis 2007. Il a pris acte du fait que l’Article 4 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), qui régit le SCC, exige expressément que « ses directives d’orientation générale, programmes et pratiques respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones, aux personnes nécessitant des soins de santé mentale et à d’autres groupes ».
Le juge a ensuite statué que le SCC ne se conformait pas à la loi qui le régit.
Il a également fait remarquer que plusieurs autres pays avaient commencé à examiner la discrimination systémique envers les Autochtones et qu’il était temps que le Canada s’y mette aussi.
« D’autres pays, tels que le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie, ont tous effectué des recherches pour s’assurer que leurs outils d’évaluation psychologique étaient fiables pour ce qui est du respect des minorités culturelles », a-t-il indiqué.
Les cinq tests qui font l’objet de la contestation sont les suivants : Échelle de psychopathie de Hare, révisée [PCL-R en anglais], Guide d’évaluation du risque de violence [V-RAG en anglais], Guide d’évaluation du risque chez les délinquants sexuels [SORAG en anglais], Statique-99, Échelle d’évaluation du risque de violence – Version pour les délinquants sexuels [EERV-VDS].
Le juge a trouvé convaincant le témoignage d’expert du Dr Stephen Hart, Ph. D., un professeur de psychologie de l’Université Simon Fraser, qui était appelé à témoigner en faveur d’Ewart.
Le Dr Hart a déclaré que les tests avaient été élaborés, dans certains cas il y a plusieurs décennies, sans tenir compte des cultures ou des perspectives autochtones. Il a également précisé qu’il existait des moyens pour les psychiatres d’analyser les tests afin d’écarter tout préjugé interculturel, mais que le SCC n’avait pas effectué ce travail.
« Étant donné l’importance des différences culturelles qui séparent les Canadiens d’origine autochtone des non autochtones, il est plus probable qu’improbable que les tests actuariels dont il est question dans cette poursuite varient en fonction de la culture », a statué le juge, résumant le témoignage du Dr Hart.
On a demandé à l’avocat Jason Gratl si cette décision aurait une incidence à la fois dans les prisons provinciales et dans les établissements fédéraux.
« Oh, oui », a-t-il répondu. « Non seulement sur le système pénitentiaire provincial, mais également sur tous les aspects du système de justice pénale qui reposent sur ces tests normalisés. Par exemple, les audiences des délinquants dangereux s’appuient d’ordinaire sur la PCL-R pour déterminer si un délinquant est trop dangereux pour la communauté pour être libéré avant une durée indéterminée.
Cette décision a donné au client de Maître Gratl l’espoir qu’il pourrait un jour quitter la prison.
« Auparavant, il n’avait absolument aucun espoir de sortir, mais maintenant il a une chance. S’il fait tout ce qu’il faut et qu’il ne commet pas d’écart, il a de bonnes chances d’obtenir sa semi-liberté dans deux, trois ou peut-être quatre ans, alors qu’auparavant les portes de la prison s’étaient à jamais refermées sur lui », a indiqué Maître Gratl. « Il serait mort en prison. »
« Il sera désormais plus facile pour les prisonniers autochtones qui ont commis des actes violents de passer des prisons à sécurité maximale à des prisons à sécurité moyenne, voire minimale, s’ils se comportent bien », a ajouté l’avocat.
« Les autorités ont l’habitude, particulièrement quand il s’agit de personnes condamnées pour des crimes violents, de faire passer les tests d’évaluation des risques dès l’entrée dans le système carcéral. Ainsi pratiquement tous les prisonniers autochtones ayant commis une infraction violente se voient administrer la PCL-R et le Guide d’évaluation du risque de violence (V-RAG) et bon nombre se voient également administrer certains des autres tests », a-t-il précisé. « Il était vraiment très difficile de se sortir d’un résultat négatif obtenu à la PCL-R ou au V-RAG, du moins jusqu’à maintenant. Parce que c’est censé s’appuyer sur des statistiques, c’est censé être scientifique, et objectif. Il ne s’agit pas juste de l’opinion d’un psychologue pour savoir si une personne est dangereuse ou pas, cela reflète l’opinion de la science elle-même. Et c’est très difficile de s’opposer à cela. »
« D’autres avocats partout au pays ont déjà pris bonne note de cette décision », a-t-il renchéri.
« Je sais que la décision a déjà été invoquée. J’ai reçu des courriels de plusieurs avocats représentant des personnes poursuivies en tant que délinquant dangereux et pour qui la PCL-R joue un rôle prépondérant », a conclu l’avocat. « Ces résultats semblent tracer la vie de ces gens. Ils influent sur le contexte de la libération conditionnelle dans les demandes émanant des délinquants dangereux et ils peuvent avoir également d’autres répercussions. »
Le SCC a refusé de commenter la décision.
« Le Service correctionnel du Canada (SCC) examine actuellement l’ordonnance provisoire de la Cour fédérale et les motifs du jugement. Comme cette cause demeure devant les tribunaux, le SCC juge inapproprié d’émettre des commentaires en ce moment », a indiqué Lori Halfper, porte-parole du SCC, dans une déclaration reçue par courriel le 1er octobre.