Le Canada est sur la voie d’un conflit avec les peuples autochtones si la classe politique ne s’engage pas à renouveler sa relation, selon le président de la CVR

Jorge Barrera
Nouvelles nationales de l’APTN
Le Canada est sur la voie de conflits d’une intensité comparable à celle de la crise d’Oka si ses dirigeants politiques ne s’engagent pas à renouveler la relation du pays avec les peuples autochtones, déclare le président de la Commission de vérité et réconciliation.

Le pays est au cœur d’une campagne électorale déclenchée un peu plus de deux mois après la publication par la Commission de vérité et réconciliation (CVR) de son rapport historique sur les pensionnats indiens. Le rapport, qui a suscité une réaction à l’échelle nationale, lance un appel de tous les coins du Canada pour la restauration de la relation trop longtemps négligée entre le pays et sa population autochtone, qui se retrouve aux marges du pays.

À mi-parcours de la présente campagne électorale fédérale, le rapport de la CVR et ses recommandations ont pratiquement été oubliés dans le discours actuel sur les principaux défis que le Canada doit relever. Cet enjeu n’a même pas mérité une seule question spécifique dans l’un ou l’autre des quatre débats électoraux fédéraux qui ont eu lieu jusqu’ici.

« Pour le moment, les dirigeants politiques de notre pays affichent une certaine complaisance, car ils estiment qu’il n’y a plus de pression, qu’il n’est plus nécessaire de porter attention à cette question. À mon avis, les gens devraient être prudents, car les jeunes Autochtones sont de plus en plus conscients de leurs droits, en particulier depuis les récentes décisions des tribunaux qui reconnaissent les droits des communautés autochtones », a déclaré le président de la CVR, Murray Sinclair. « En conséquence, nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre si l’on veut ignorer la situation des peuples autochtones, et il va falloir que les prochaines discussions parlent de changement. »

La CVR a été mise sur pied dans le cadre de l’accord de règlement, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, conclu entre les survivants des pensionnats indiens, Ottawa et les églises qui ont exploité les pensionnats pendant plus d’un siècle.

Des milliers d’enfants sont morts dans les pensionnats; bon nombre d’entre eux sont encore enterrés dans des tombes anonymes, leur souvenir perdu à jamais.

La CVR a dressé une liste de 94 recommandations dans son rapport publié en juin dernier. Ces recommandations devaient servir de feuille de route pour le Canada en vue d’une restauration définitive de la relation. Le Parti conservateur a rejeté l’essentiel des recommandations, tandis que le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral les ont toutes acceptées. Toutefois, aucun de ces partis n’a encore présenté de plan pour la mise en œuvre des recommandations.

Sinclair a déclaré que le fait que la classe politique évite continuellement d’attaquer ce problème de front, de même que les tensions latentes qui entourent les projets d’exploitation des ressources, alimentent un contexte qui risque de produire de graves confrontations.

« Le climat actuel des discussions relatives à l’extraction pétrolière et à l’exploitation des ressources et le désir qu’ont certains intervenants de l’industrie et du gouvernement de faire fi des droits autochtones et d’autoriser la tenue de ce genre d’activités sans respecter ces droits vont certainement susciter une réaction de la part de la communauté autochtone, en particulier chez les jeunes », a déclaré M. Sinclair. « Les enjeux environnementaux sont à l’avant-plan d’une importante réflexion au Canada, et les Autochtones prennent part au débat. Si nous n’arrivons pas à voir l’importance de faire évoluer la relation entre les Autochtones et les autres citoyens de notre pays, et plus particulièrement entre les Autochtones et les gouvernements de notre pays, je crains que nous devions nous préparer à vivre de plus en plus de confrontations. »

Ces conflits pourraient ressembler à celui qu’a connu le Canada en 1990 avec la résistance des Mohawks à Kanesatake, au Québec, ce qu’on a appelé la crise d’Oka, explique-t-il.

« Ce qui m’inquiète, c’est que si nous ne reconnaissons pas ce problème de relations, nous allons vivre un autre Oka », ajoute M. Sinclair.

Les politiciens de tous les partis, de même que l’ensemble de la population canadienne, se sont rendus compte immédiatement après la crise d’Oka qu’il fallait changer quelque chose dans la relation entre le Canada et les premiers habitants de notre territoire, a-t-il indiqué.

« Après Oka, toutes les entités politiques et tous les partis politiques ont pris des mesures sérieuses pour reconnaître le problème de la relation avec les Autochtones et pour en faire le point central de leurs efforts », dit M. Sinclair. « Au cours des élections qui ont eu lieu pendant les années 1990, cette question a perdu sa place parmi les grands enjeux… de sorte qu’elle est sortie du radar politique. Il est maintenant temps qu’elle y revienne. »

Sinclair voit un problème plus profond dans l’amnésie presque immédiate qui sévit dès que s’estompent les fumées de la plus récente crise.

« C’est dans les médias que les gens tirent leur notion des actualités et des enjeux importants, et c’est la façon dont les médias les alimentent en information qui génère des pics et des creux dans les réactions et les commentaires. C’est le manque d’éducation sur l’évolution du Canada en tant que nation qui est à l’origine de ce problème ou qui y contribue », dit M. Sinclair. « La mémoire canadienne n’a jamais été nourrie de la connaissance de la véritable relation avec les Autochtones dans cette partie du monde. Du point de vue de la plupart des Canadiens, les peuples autochtones n’existaient pas avant le moment récent où nous les avons reconnus, et les Autochtones canadiens n’existeront plus quand nous aurons arrêté de les reconnaître… Quand les gens connaîtront toute l’histoire, ils n’auront pas une réaction amnésique, parce qu’elle sera ancrée si profondément dans leur propre nature en tant que Canadiens qu’ils auront le sentiment qu’elle parle d’eux aussi. »

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